dimanche 29 avril 2018

Le plus beau métier du monde



Vendre du beau, vendre du rêve aux foules à travers des images sans cesse renouvelées, démultipliées à l'infini grâce aux réseaux sociaux, incarner un idéal (souvent, il faut le dire, très formaté et aseptisé), produire de l’exceptionnel - dans le cas de la haute couture -, voilà quelques missions de la mode. Dans Le Plus Beau Métier du monde  l'anthropologue Giulia Mensitieri nous propose une plongée réaliste dans ce milieu. S'appuyant sur son expérience d'immersion et sur de multiples entretiens, elle donne à voir le décalage flagrant entre le faste et la réalité d'un monde violent et précaire.

Bien souvent, en dépit des sommes folles dépensées pour par ex. quelques minutes d'un défilé, les photographes, stylistes, maquilleurs, assistants, etc. ne sont eux qu'assez rarement payés. S'ils le sont, c'est symboliquement, par du maquillage, des accessoires, une mention. Malgré cela, le sentiment d'appartenir à un monde privilégié et prestigieux explique souvent la résignation et le manque de revendications observés par l'anthropologue. Pour ces travailleurs créatifs le simple fait de participer à la création de choses désirées par tant de gens, compense tous les sacrifices.

La chercheuse dévoile ainsi les aspects peu reluisants d’une industrie qui constitue pourtant «l’image étincelante du capitalisme, combinant prestige, beauté et pouvoir» : les stagiaires non rémunérés et usés jusqu’à l’os, œuvrant sans jour de repos quand un catalogue ou une collection doivent être finalisés, mais prêts à tout pour faire partie d’un milieu fantasmé auquel ils deviennent même accros . Les stylistes qui dorment dans des palaces en marge des shootings mais sous-louent des logements minuscules et parfois insalubres dans la vraie vie . Les mannequins qui travaillent gratuitement pour améliorer leurs books, d’autres endettés auprès de leur agent, d’autres encore rémunérés avec une paire de pompes ou un pull, ce qui ne remplit pas le frigo ni ne paye le loyer.

En lisant ce livre,  j'ai pensé à Nabile Quenum, 32 ans, auteur du blog "J'ai perdu ma veste", dont le décès absurde survenu peu après Noël 2017 à Paris m'avait choqué. Photographe de mode parmi les plus connus
lors des défilés des fashion weeks,  Nabile Quenum est mort  dans son sommeil intoxiqué par du monoxyde de carbone émanant de son radiateur. Il est resté plus de deux semaines inanimé dans son lit avant d'être découvert... Il vivait dans un immeuble qui n'était pas aux normes de sécurité les plus basiques.

Cette enquête fouillée , passionnante, dévoile beaucoup d'aspects méconnus du grand public. Je crois que malheureusement ces aspects ne concernent pas que le milieu de la mode, ils peuvent s'appliquer à beaucoup de domaines dit "artistiques" ou créatifs où  la précarité est quasi une norme et où travail payé et bénévolat se confondent dans l'esprit de nombreux employeurs avec la bénédiction des employés. Ceux-ci n'imaginant pas que cela pourrait être autrement tant ils ont la sensation qu'évoluer dans ces domaines est une chance.

Le plus beau métier du monde, dans les coulisses de l'industrie de la mode.  Giulia Mensitieri . Edition La découverte. Janvier 2018.

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