jeudi 10 janvier 2019

Sérotonine


Sérotonine [Attention spoiler! ]. 
Le noeud dramatique du roman de M.H se joue dans l’incapacité de Florent Claude Labrouste, 46 ans, ingénieur agronome, dépressif, le narrateur, à proposer à sa stagiaire de dix ans de moins que lui, Camille, de renoncer à la suite de ses études pour rester chez lui en tant que femme au foyer. Il la laisse retourner dans son école vétérinaire à Paris et de cette décision funeste naîtra, selon lui, leur malheur à tous deux.

Le récit de l’idylle entre la jeune fille et Florent Claude est l’occasion, pour lui, d’asséner quelques vérités sur l’existence. Alors qu’il se réjouit que l’étudiante, installée chez lui le temps de son stage, lui fasse découvrir, à lui, l’habitué du Super U, les joies de la boucherie-charcuterie et de la boulangerie-pâtisserie («Enfin, pour parler plus exactement, Camille en devint une cliente régulière –je me contentais en général de l’attendre en buvant des demis à la brasserie Le Vincennes»), il réalise que les femmes, contrairement aux hommes, sont douées pour la vie simple et qu’elles ont bien de la chance:

«Les hommes en général ne savent pas vivre, ils n’ont aucune vrai familiarité avec la vie, ils ne s’y sentent jamais tout à fait à leur aise, aussi poursuivent-ils différents projets, plus ou moins ambitieux plus ou moins grandioses c’est selon, en général bien entendu ils échouent et parviennent à la conclusion qu’ils auraient mieux fait, tout simplement, de vivre, mais en général aussi il est trop tard.»

Si tout projet est vain, on peut se demander pourquoi Houellebecq continue à écrire, ses droits d’auteurs lui permettant certainement d’assumer une vie de femme au foyer –visiblement la meilleure forme d’existence disponible à ces yeux. Peut-être me répondrait-il qu’il en est, en tant qu’homme, intrinsèquement incapable.

C’est en tous cas ce que m’expliquerait le narrateur de Sérotonine, pour qui l’existence de deux natures, féminine et masculine, est indiscutable. Et pour qui la finalité de la femme, conformément à son essence féminine, est le don de soi jusqu’à la dissolution, dans le cadre du couple («À cette tâche qui n’en est pas une, car elle n’est que manifestation d’un instinct vital, elle sacrifierait volontiers sa vie.»). Celles qui, par excès d’égoïsme –car il ne peut s’agir que d’égoïsme– se contentent, comme la dernière maîtresse du narrateur, Yuzu, de «commander des sushis» pour «subvenir aux besoins du ménage», sont promises aux plus pathétiques errements.

Que les activités considérées comme féminines soient en partie délaissées au profit d’ambitions artistiques n’excuse rien non plus, au contraire: dans la vision du monde défendue par le narrateur, les femmes sont évidemment exclue du circuit de la création. La seule femme créative du roman, Claire, est ainsi une actrice ratée, alcoolique, violemment tournée en dérision –Claire ne va pas à la boulangerie-pâtisserie et le narrateur s’en sépare sans grande difficulté.

Heureusement, il y a donc Camille, qui se comporte «en femme au sens pré-féministe du terme»: lorsque par malheur elle n’est pas en couple, elle se consacre à des activités altruistes –soigner les animaux, s’occuper d’un enfant; et lorsque par bonheur elle est en couple, elle exprime son amour par la cuisine et par les fellations.

Le tableau serait charmant s’il était accompagné, à un moment où à un autre du livre, même sous une forme métaphorique, d’une vague idée de réciprocité, de partage. Or cela n’arrive jamais. Si l’essence de la femme est de donner, celle de l’homme est de prendre, de consommer, de jouir… et de tout gâcher (en renonçant à monter dans un train, en allant tirer un coup ailleurs, etc.).

Ce gâchis est un motif récurrent dans l’oeuvre de Houellebecq, où il est toujours présenté comme le résultat d’un fatum indépassable. Ses personnages masculins ne semblent pas responsables de leurs destins. Ils ne cherchent jamais à réparer leurs erreurs, se contentant de les déplorer pendant 250 pages.

À mon sens, la propension à faire des conneries ne relève pas du tragique. La propension à faire des conneries relève de la connerie. Et l’esthétisation romantique que fait Houellebecq de cette connerie est lassante.

Qu’un homme commette une erreur vis-à-vis d’une femme et se montre trop lâche et trop fier pour tenter de la réparer n’est pas exactement une situation originale: il semble assez aisé de trouver des exemples similaires au quotidien; de la même façon qu’il semble assez aisé de trouver des exemples de femmes qui se dédient corps et âmes à leur couple. C’est d’ailleurs un des éléments qui font que les livres de Houellebecq fonctionnent: on s’y retrouve facilement. Mais on peut s’interroger sur l’intérêt littéraire d’enrichir de nouveaux exemples ce qui constitue déjà bel et bien un cliché.

Quand ils n’accusent pas le destin, les héros houellebecquiens s’en prennent à la modernité. À ce titre, leurs discours évoquent parfois celui des incels, ces célibataires involontaires tels qu’ils se définissent sur les réseaux sociaux, que le grand public avait tragiquement découvert lors de l’attentat de Toronto. Pour ces jeunes hommes, le libéralisme sexuel est une catastrophe en ce qu’il laisse les femmes libres de choisir leurs partenaires, ce qui ne peut que bénéficier aux «gagnants», par ailleurs souvent des «connards», au détriment des gentils qu’ils ont l’impression d’être. C’est précisément ce que développait –de manière certes plus littéraire– le narrateur d’Extension du domaine de la lutte, en 1994:

«En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante; d’autres sont réduits à la masturbation et à la solitude. Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société.»

Dans Sérotonine, la critique de la modernité est moins théorisée, mais tout aussi claire:

«Avons-nous cédé à des illusions de liberté individuelle, de vie ouverte, d’infini des possibles? Cela se peut, ces idées étaient dans l’esprit du temps;  nous ne les avons pas formalisées, nous n’en avions pas le goût; nous nous sommes contentés de nous y conformer, de nous laisser détruire par elles; et puis très longuement, d’en souffrir.»

Pourtant, si l’on s’en tient à l’observation des événements qu’il rapporte, il paraît évident que ce n’est pas «l’esprit du temps» qui fout la vie du narrateur en l’air, mais bien sa propre inconséquence et sa propre lâcheté.

Sérotonine est un roman intelligemment construit, brillamment rédigé, hilarant par endroits. Mais il va rejoindre, dans les bibliothèques, le vaste rayon de la littérature du «Oh merde, j’ai tout fait foirer!», dont les précédents ouvrages de Houellebecq occupent déjà une part importante. Cette littérature où les femmes sont d’adorables victimes, sur les souffrances desquelles on évite toutefois de s’attarder, les états d’âmes des hommes qui les détruisent étant éminemment plus littéraires. Cette littérature, qui continue de m’impressionner d’un point de vue formel, m’attriste aujourd’hui sans plus m’émouvoir.

dimanche 7 octobre 2018

Qui a tué mon père

 
Edouard Louis, Talent-tueur

Dans En finir avec Eddy Bellegueule, roman coup-de- poing paru en 2014, Edouard Louis avait raconté la misère de la France d’en bas, «De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux.», le ton était donné, homosexuel dans un village picard pauvre, xénophobe, homophobe, où on ne rigole pas avec son «rôle d’homme», incapable d’être «comme les autres», maltraité, humilié par les siens et son environnement, Eddy Bellegueule s’enfuit pour naître à lui-même. Il devient Edouard Louis. 


Dans cet ouvrage, il travaille sur une langue double, celle de la vie intellectuelle et parisienne qu’il a choisie, et celle « prolo » de son enfance. Il distille une pensée directement inspirée du sociologue Pierre Bourdieu sur les thèmes de l'exclusion et de la domination sociale, si vous pouvez, lisez par exemple son ouvrage La distinction, sur la manière dont se forment les goûts et les styles de vie, c'est passionnant.

J'avais parlé de ce premier roman d'Edouard Louis, vous pouvez retrouver mon post avec le #leslecturesdesouad sur mon compte instagram.



Deux ans plus tard, Histoire de la violence, son second roman nous place dans l'immersion d’une nuit de Noël qui tourne mal, c'est la rencontre d'Edouard Louis avec un jeune homme qui se termine par un viol, une tentative de meurtre, et une plainte que le narrateur dépose au commissariat. Il poursuit sa réflexion sur les mécanismes d’exclusion et de domination en jouant sur la double langue qui caractérise son style. 


Avec Qui a tué mon père, on sait où on est, l'environnement social et le style littéraire sont les mêmes que dans ses précédents opus. Si on a lu ses deux premiers livres, on connaît le père d’Edouard Louis, du moins celui de ses romans. On sait déjà beaucoup de choses sur lui, il est je crois en passe de devenir aussi mythique que la mère de Marguerite Duras. «Je n’ai pas peur de me répéter parce que ce que j’écris, ce que je dis ne répond pas aux exigences de la littérature, mais à celles de la nécessité et de l’urgence, à celle du feu.» En vérité, il s’agit bien de littérature, et Edouard Louis ne peut pas l’ignorer. Et là, pour moi ça pose problème, je vous explique pourquoi plus bas.


Par bribes, par fragments plus ou moins développés, Edouard Louis rassemble ce qu’il connaît de la vie de son père, puis les moments qu'ils ont eu en commun. Il y a les souvenirs de sa tendresse, de sa gêne (quand le fils se donne en spectacle) ou de sa dureté. Le texte est écrit à la deuxième personne : «Tu as changé ces dernières années. Tu es devenu quelqu’un d’autre.» Seul le second chapitre est rédigé différemment. Il s’agit d’un aveu : «Je n’étais pas innocent.» 
 

Qui a tué mon père est directement politique. «Hollande, Valls, El Khomri, Hirsch, Sarkozy, Macron, Bertrand, Chirac. L’histoire de ta souffrance porte des noms.» Le père d’Edouard Louis, né en 1967, semble sous sa plume être un très vieil homme, mais il n'a que 50 ans. Un jour, au collège, Eddy découvre l’histoire du mur de Berlin, et pose des questions. «Tu avais déjà plus de vingt ans quand le mur a été détruit.» Le père refuse de répondre, s’énerve. Interprétation : «Tu avais honte parce que je te confrontais à la culture scolaire, celle qui t’avait exclu, qui n’avait pas voulu de toi.» C’est un des moments où je me suis dit qu’Edouard Louis exagère à voir de la domination partout. 
Dans ses interprétations l'essence de l'individu ne semble pas exister en dehors d'un système où tout est décidé pour lui, conte lui, malgré lui. La liberté individuelle est quasi inexistante et la notion de responsabilité personnelle balayée. Le père d'Edouard Louis, pauvre, mal né, n'a eu aucun choix, aucun pouvoir de décision, tout lui a été imposé par les différents régimes politiques français au grès des différentes réformes de l'enseignement, sociales, du travail, de la Sécu, de la santé. Le père d'Edouard Louis n'est ainsi pas un père, pas un homme, il est un corps, un magma d'atomes secoués, trimballés au grès de reformes injustes, aux conséquences désastreuses.


Comme pour ses précédents livres, je suis partagée, je ressens de la gêne, comme si, encore une fois, Edouard Louis me plaçait dans une position voyeuse, alors que par exemple Annie Ernaux (qui travaille également sur les thématiques de domination et d'exclusion sociale) me fait ressentir avec beaucoup de sensibilité de l'empathie, de la tendresse et offre une image à la fois intime et distanciée de sa famille. Avec Edouard Louis j'ai sans cesse le sentiment d'être enfermée dans une démarche idéologique où le sujet est finalement toujours et constamment Edouard Louis.


L'aspect politique est trop 1er degré pour prendre une dimension littéraire forte. Ceux qui arrivent à offrir une dimension littéraire à la politique sont rares, par exemple Jules Vallès, Victor Hugo y arrivent très bien je trouve mais parce-que la dimension de leur langue englobent le sujet avec empathie et non pas narcissisme. Les pauvres ont chez eux une âme, ils ont une pensée, une vraie stature. Ils sont.

Ce dernier texte va être adapté par Stanislas Nordey au théâtre en 2019, cela donnera sûrement quelque chose de très bien si le metteur en scène arrive à habilement éviter ces clichés. 

Je crois que je préfère lire les écrits théoriques d'Edouard Louis, l'écouter débattre et se placer sur le terrain de la pensée où ce qu'il défend prend une forme polémique et dérangeante qui me semble plus que jamais nécessaire. J'aime l'engagement d'Edouard Louis, sa verve, sa jeunesse, sa rage.Je m'y reconnais. Exploité sur le terrain de la littérature le sujet Edouard Louis (car il s'agit de rien d'autre que de ça) me fait ressentir une forme de manipulation, un insidieux auto-centrage qui me laisse un sentiment mitigé.


L'avez-vous lu ? Vous avez aimé ?  
 Edouard Louis, Qui a tué mon père. 
 Editions du Seuil

mardi 2 octobre 2018

Sorcières, la puissance invaincue des femmes

Mona Chollet, sorcière moderne.
 
J’aime beaucoup Mona Chollet, sociologue et journaliste franco-suisse qui officie au sein du Monde diplomatique. 

Spécialiste de questions de société et plus particulièrement du féminisme, Beauté fatale et Chez soi ses deux derniers livres sont des synthèses très claires, extrêmement bien argumentées et documentées sur des sujets larges et parfois un peu confus.


Beauté fatale, paru en 2012, démontre comment le marketing issu du complexe Mode/Beauté s'est emparé de la condition féminine. 

Cette industrie y est décortiquée sur plusieurs niveaux: cosmétiques, luxe, publicité, presse féminine, blogs, starification, égéries, milieu du cinéma, agences de mannequins, chirurgie esthétique et rapport au corps. 
Elle détaille notamment comment la récupération des arguments féministes proposant aux femmes « d'être elles-mêmes » a été insidieusement associée à un ensemble d'injonctions et de modèles extrêmement standardisés. Ainsi, le rôle de la presse féminine, des blogs (inspirations plus ou moins élaborées de cette même presse) et leur absence d'alternative, y sont particulièrement bien décrits. 

Elle démontre également la mise en avant de modèles passifs et comment par exemple le syndrome « être découverte » remplace le prince charmant traditionnel, la mentalité faussement ouverte des intellectuels français en prend aussi pour son grade. 
Beaucoup de questions sont abordées, c'est un ouvrage que je conseille de lire. Mona Cholet a l'art de faire des synthèses qui poussent à aller chercher les références qu'elle distille pour approfondir et inciter à développer ses propres idées.

Dans Sorcières, qui me semble complémentaire à Beauté Fatale, elle précise dès introduction qu’il ne s’agira pas de parler en détail de la sorcellerie contemporaine mais de développer à travers la figure générique de la sorcière quatre thèmes autour de la féminité :

  • L’indépendance
  • Le refus de la grossesse,
  • La vieillesse
  • Le rapport à la nature.

Ceux qui s'attendent à trouver un essai détaillé sur les sorcières, leur origine historique et leur essence, seront certainement déçus. Dans ses quatre parties, la figure de la sorcière est surtout utilisée comme un symbole, une figure mythique des injustices et des discriminations à l'égard des femmes d’aujourd’hui. C'est avant tout une image, un support pour penser des types de femmes stigmatisées et pourchassées à l’époque de la chasse aux sorcières : les célibataires, les veuves, les femmes qui maîtrisaient leur procréation, les femmes âgées, et dont la symbolique négative a perduré dans l'imaginaire collectif. 
 
En explorant l'histoire des chasses aux sorcières, Mona Chollet recherche les origines de la stigmatisation qui touche aujourd'hui ces femmes indépendantes, les femmes célibataires, les femmes sans enfants, en particulier celles qui n'en veulent pas, les femmes âgées et celles qui assument les signes de leur vieillissement au lieu de se soumettre aux injonctions du jeunisme.
Elle démonte les schémas misogynes cachés qui sont à l'oeuvre et démontre combien ils entretiennent avec ruse une guerre contre les femmes. 
Cette phase conscientisée, elle incite alors, à travers cette figure de la sorcière, à faire éclore en chaque femme une puissance positive : « La sorcière incarne la femme affranchie de toutes dominations, de toutes limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie. ». Elle envisage ainsi cette figure comme quelque chose qui peut permettre de construire une puissance au féminin.

Comme l'ensemble de ses ouvrages, un très vaste champ de connaissances est balayé, d'une façon limpide, il y a également une grande part personnelle car Mona Cholet n’hésite pas (comme dans ses précédents opus) à se livrer, d'une façon introspective, humoristique et sensible. Elle offre à son essai l'éclairage de sa propre expérience et nous incite à réfléchir à la notre, c'est une œuvre vivante. 
 
C'est particulièrement intéressant, et encore une fois les références qu'elle utilise sont l'occasion d'aller chercher plus loin, par soi-même. 

Un travail très intelligent. A lire !


256 pages – 18 euros (format papier) - existe également en format numérique.

Éditions Zones – Paris – 13 Septembre 2018

mardi 29 mai 2018

Philip Roth

Philip Roth photographié en 1968 par Bob Peterson. J'aime beaucoup cette photo, on sent dans les yeux de l'écrivain une drôlerie.

Philip Roth  est décédé, il fait partie de mes auteurs favoris.  Cet immense écrivain a su avec tellement de brio dénuder la psyché américaine. Né en 1933 dans une famille juive de la classe moyenne, à Newark dans le New Jersey (qui sera le décor de plusieurs de ses romans),  il a construit une oeuvre brillante, férocement drôle, satirique et sans concessions. Son style est impeccable, très précis, on sent chez lui comme l'envie permanente d'en découdre.

Déjà à ses débuts à la fin des années 50, avant de s'installer à New York, alors qu'il rédigeait des critiques de cinéma pour le magazine The New Republic, payé 25$ l'article, on peut dire qu'il ne laissait pas sa plume dans sa poche. Son mordant et sa vision d'écrivain y étaient déjà à l'oeuvre. 
Le 14 octobre 1957, à propos du film Ariane, de Billy Wilder avec Audrey Hepburn il avait écrit : « Mademoiselle Hepburn met dans ce rôle son habituelle délicatesse ; elle est, certes, une élégante jeune femme, mais il y a quelque chose d'un peu fatigant à regarder un lutin délicat qui sait qu'il est un lutin délicat. » Ou encore Le 17 février 1958 à propos du remake de L'Adieu aux armes, de Charles Vidor, avec Rock Hudson et Jennifer Jones : « L'ennui, avec cette nouvelle version de L'Adieu aux armes, produite par Selznick, est qu'elle demande au spectateur de se souvenir du roman d'Hemingway... sinon, ne reste qu'un film sans énergie, stupide, voire gênant. » 
 
Philip Roth avait décidé d'arrêter d'écrire en 2012.  Maintenant qu'il n'est plus, dans une Amérique qui a largement dépassé la fiction, il va beaucoup nous manquer.





lundi 21 mai 2018

Avec Zadkine, Souvenirs de notre vie


Ossip Zadkine, sculpteur d'origine russe,  fut une des figures du mouvement artistique nommé L'école de Paris.
 

Ce livre "Avec Zadkine, Souvenirs de notre vie" est particulièrement charmant. Mêlant texte et dessins, il a été écrit par Valentine Prax sa femme, elle-même artiste-peintre. Il parle de leur histoire, d'art, d'amour et d'une époque qui ressuscite Modigliani, Max Jacob, Henry Miller et tant d'autres. A travers son regard et son soutien sans failles, nous découvrons un artiste complexe, souvent difficile,  qui vécut son art avec un immense esprit de résilience.

Je l'avais trouvé au Musée Zadkine qui est la maison et l'atelier où l'artiste vécut et travailla à partir de 1928. Cette maison cachée a également un très joli jardin. Située au au100 bis rue d'Assas dans le 6e à Paris, elle est une bulle de calme, de lumière, de verdure et de beauté. 

J'avais commencé à lire ce livre au jardin du Luxembourg qui, malgré la lumière grise de ce jour là, était quand même sublime.


Valentine Prax,  Avec Zadkine, Souvenirs de notre vie. 
Paru en Mai 2001.

mardi 8 mai 2018

On s'embrasse pas ?



Après quinze années d'errance à travers le monde, Bernard, tête à claques quadragénaire, acerbe et désabusé, revient s'échouer dans un village près d'Angoulême dans ce qu'il lui reste de famille.


Quinze ans sans presque jamais donner de nouvelles à ses proches, sa dernière carte postale remonte à une dizaine d'années... Et puis soudain, après avoir tant bourlinguer, l'usure et un "impérieux besoin de revenir" chez lui.

Ce retour surprise, douloureux pour la mère, dérangeant pour la soeur, va bouleverser le train-train bien réglé d'une vie qui s'est construite sans lui. Dans leur quotidien assez austère, la nouveauté que constitue ce retour et la personnalité pleine de mauvaise foi de Bernard vont entraîner différents évènements  tragi-comiques.

Bourré d'humour et très caustique, il s'agit du second roman de cet auteur qui écrit également de la poésie, des chansons et des romans jeunesse. Drôle et plaisant, il se lit d'une traite, le style est très vivant et les personnages bien construits. 
Michel Monnereau interroge ici avec lucidité les notions de famille, d'appartenance, de révolte et de choix de vie. Court, bien mené, il aurait néanmoins mérité je crois plus d'approfondissement sur certains aspects pour lui donner une plus forte densité.

A lire dans son lit les jours de grande révolte intérieure. 


Michel Monnereau, On s'embrasse pas. ed. La table ronde. Ou chez J'ai Lu pour le format  livre de poche. (Paru en 2007)


dimanche 29 avril 2018

Le plus beau métier du monde



Vendre du beau, vendre du rêve aux foules à travers des images sans cesse renouvelées, démultipliées à l'infini grâce aux réseaux sociaux, incarner un idéal (souvent, il faut le dire, très formaté et aseptisé), produire de l’exceptionnel - dans le cas de la haute couture -, voilà quelques missions de la mode. Dans Le Plus Beau Métier du monde  l'anthropologue Giulia Mensitieri nous propose une plongée réaliste dans ce milieu. S'appuyant sur son expérience d'immersion et sur de multiples entretiens, elle donne à voir le décalage flagrant entre le faste et la réalité d'un monde violent et précaire.

Bien souvent, en dépit des sommes folles dépensées pour par ex. quelques minutes d'un défilé, les photographes, stylistes, maquilleurs, assistants, etc. ne sont eux qu'assez rarement payés. S'ils le sont, c'est symboliquement, par du maquillage, des accessoires, une mention. Malgré cela, le sentiment d'appartenir à un monde privilégié et prestigieux explique souvent la résignation et le manque de revendications observés par l'anthropologue. Pour ces travailleurs créatifs le simple fait de participer à la création de choses désirées par tant de gens, compense tous les sacrifices.

La chercheuse dévoile ainsi les aspects peu reluisants d’une industrie qui constitue pourtant «l’image étincelante du capitalisme, combinant prestige, beauté et pouvoir» : les stagiaires non rémunérés et usés jusqu’à l’os, œuvrant sans jour de repos quand un catalogue ou une collection doivent être finalisés, mais prêts à tout pour faire partie d’un milieu fantasmé auquel ils deviennent même accros . Les stylistes qui dorment dans des palaces en marge des shootings mais sous-louent des logements minuscules et parfois insalubres dans la vraie vie . Les mannequins qui travaillent gratuitement pour améliorer leurs books, d’autres endettés auprès de leur agent, d’autres encore rémunérés avec une paire de pompes ou un pull, ce qui ne remplit pas le frigo ni ne paye le loyer.

En lisant ce livre,  j'ai pensé à Nabile Quenum, 32 ans, auteur du blog "J'ai perdu ma veste", dont le décès absurde survenu peu après Noël 2017 à Paris m'avait choqué. Photographe de mode parmi les plus connus
lors des défilés des fashion weeks,  Nabile Quenum est mort  dans son sommeil intoxiqué par du monoxyde de carbone émanant de son radiateur. Il est resté plus de deux semaines inanimé dans son lit avant d'être découvert... Il vivait dans un immeuble qui n'était pas aux normes de sécurité les plus basiques.

Cette enquête fouillée , passionnante, dévoile beaucoup d'aspects méconnus du grand public. Je crois que malheureusement ces aspects ne concernent pas que le milieu de la mode, ils peuvent s'appliquer à beaucoup de domaines dit "artistiques" ou créatifs où  la précarité est quasi une norme et où travail payé et bénévolat se confondent dans l'esprit de nombreux employeurs avec la bénédiction des employés. Ceux-ci n'imaginant pas que cela pourrait être autrement tant ils ont la sensation qu'évoluer dans ces domaines est une chance.

Le plus beau métier du monde, dans les coulisses de l'industrie de la mode.  Giulia Mensitieri . Edition La découverte. Janvier 2018.